La part de l’être

La part de l’être

François Delayre, photographe, technicien expérimental, découvre lors d’un voyage en Amérique du sud une vieille boîte en métal contenant des négatifs sur plaques de verre.
Ce sont des séries de portraits d’illustres inconnus, de toute évidence réalisés à la chambre par un professionnel, au début du siècle dernier. Il les gardera précieusement avec lui, désireux de leur rendre un jour hommage.

En 2019, il rencontre Tatiana Chaumont plasticienne, cherchant un sujet de création autour de l’identité, les non-dits, le hors champ... La découverte de ces portraits leur apparaît instantanément comme une source singulière d’inspiration pour créer un projet commun. Le grain, les pauses, les costumes, les postures et l’intensité des regards sont autant de points sensibles que des références à un passé, écho d’un présent où valeurs, espoirs, désirs et
mémoires s’entrechoquent.

Derrière les figures

C’est une rencontre avec ces personnes disparues qui deviennent progressivement familières, presque intimes. Comment leur donner vie de nouveau, qu’ont-ils à nous dire aujourd’hui?

La dignité s’impose par leurs regards, leurs postures, leurs costumes. Tout en préservant ces éléments, nous décidons de leur offrir une seconde peau, comme une respectueuse réincarnation.

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Une nouvelle identité croisée

Autrefois animés et agissant, aujourd’hui anonymes oubliés, ces personnages nous évoquent immédiatement le monde animal et sa fragile condition : envisagé comme troupeau réduit au rang de témoin, de borne de l’environnement, à peine un vivant, un vestige, un indicateur de l’environnement. Il n’en reste bien souvent qu’un objet, dénié de son être propre.

En associant l’homme et l’animal, ne pourrait-on pas rendre à l’un et à l’autre ce qui justement les oppose? Ces acolytes décident de confondre l’humain et la symbolique de l’animal en voie d’extinction. Comme un jeu d’équilibre entre l’éthique et le stéréotype, nous souhaitons faire surgir des êtres doués d’individualité tout en les replaçant dans une communauté de destin.

Ces portraits hybrides sont projetés dans des espace-temps colorés aux multiples références comme :
la jungle humaine, les dérèglements écologiques, la question des valeurs économiques, la nature calme et luxuriante. Ils questionnent l’idée de progrès, ses conséquences pour l’homme et sa relation avec le vivant.

A la manière d’une Kate Clark fabriquant des chimères au regard et à la posture dignes, ou d’un Matthew Barney avec ses créatures métissées (cycle de Cremaster), nous prenons soin de représenter distinctement, en noir et blanc, la combinaison des deux êtres. En les réduisant ainsi à l’essentiel, nous espérons protéger leur identité, les faire exister pleinement par eux-mêmes.

Chaque portrait est en possession d’un objet peint en or. Sorte de totem, à la fois intime et éloigné du personnage, marquant une dualité entre individualité et appartenance à une société conformiste. La liberté de se définir seul dans le cadre fourni par un ensemble plus vaste. L’or, rare et résistant au temps, illustre la force puisée par les personnages dans leur environnement.

Rencontre entre photographie et picturalité
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La photographie, si elle offre une version fidèle d’une réalité passée, se présente généralement comme objet fini. Les retouches picturales sur les tirages permettent de dépasser ce déterminisme. Au témoignage, expression essentiellement factuelle, vient s’ajouter l’empreinte de l’imaginaire. Le pinceau dépose ses traces comme autant de fantasmes prenant corps. À l’instar de l’homme et de l’animal, les deux médiums se complètent, se mêlent, se séparent pour mieux se révéler.

Nous produisons un récit autrement plus précieux qu’un passeport, et vous invitons à voyager librement dans cet univers sans frontière.

Prolongement du projet en Résidence artistique

Ces quinze portraits sont l’occasion d’engager une production bien plus vaste. Les deux artistes souhaitent interroger la société et le territoire culturel alentour. Pour cela, ils proposent de recueillir les témoignages et les visages des visiteurs de l’espace d’exposition à l’aide d’une chambre grand format, pour les retravailler ensuite au moyen de techniques picturales qu’ils maîtrisent.

Ces rencontres pourront s’effectuer ponctuellement, laissant aux artistes le temps d’élaborer de nouvelles identités composites à partir des portraits et entretiens collectés, mais aussi d’archives et références locales. La durée de la résidence déterminera ainsi la quantité de pièces inédites exposées à son terme sachant que la réalisation d’un portrait nécessite en moyenne quatre jours.

L’objectif est d’offrir à aux participants l’occasion de vivre la réalisation d’une œuvre en progression et de rendre hommage à l’animal, à l’homme et à leur territoire dans sa pluralité et sa liberté.

Premiers pas du projet à la Villa Gregam

Découvrez les étapes et les coulisses de notre toute première intervention sur la commune de Grand-Champ.
Au total, 40 portraits réalisés avec les habitant·es et de nouvelles créations en cours!